L’écotaxe, dont le principe avait été remis en cause suite à l’opposition des transporteurs et des chargeurs, et aux manifestations de 2014 sur les routes bretonnes, avait été instaurée pour financer l’accroissement de l’offre et la modernisation des réseaux de transport, et favoriser des transports de marchandises plus respectueux de l’environnement. Il est vrai que, de l’avis même du secrétaire d’État aux transports, le dispositif retenu pour l’application du principe du « pollueur payeur » avait été transformé « jusqu’à devenir méconnaissable [et] inapplicable » (audition conjointe par la commission des finances et la commission du développement durable du Sénat le 29 octobre 2014 de M. Alain Vidalies).
Dans l’attente d’une solution alternative pérenne, le gouvernement a fait adopter par le Parlement une hausse de 4 centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les poids lourds, dont le montant est affecté au profit de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF).
Les conditions de la résiliation du contrat passé avec le consortium franco-italien Ecomouv’, décidée le 31 décembre 2014, ont conduit à la reprise par l’État des emprunts contractés par le gestionnaire auprès de ses banques. En même temps, l’État reste propriétaire des portiques installés pour le calcul des péages de transit. L’idée un temps évoquée d’une nouvelle taxe de transit des poids lourds, sur une partie plus réduite d’environ 4.000 km du réseau routier non concédé, a également été ajournée sine die.
Très récemment, dans le cadre de la campagne des élections régionales de décembre 2015, des élus, des candidats et des responsables politiques ont envisagé le principe d’une écotaxe sur une base régionale. Cette idée semble être apparue dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, et a été rapidement reprise en Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes, ainsi qu’en Île-de-France.
L’objet de cette brève étude n’est ni de juger, ni de débattre de l’opportunité économique ou politique d’une telle proposition, d’autant que le gouvernement français en a très rapidement exclu l’idée. En revanche, il importait, d’une part, d’examiner la cohérence d’une telle « taxe régionale » au regard de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, notamment après la récente réforme portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe), d’autre part d’évaluer la conformité d’une telle disposition avec la législation communautaire applicable.
Tout d’abord, si des régions souhaitent obtenir le droit de créer de nouvelles ressources fiscales, une taxe assise sur l’usage de la voirie est probablement l’une des moins pertinentes pour cet échelon du « millefeuille administratif » français.
L’article 34 de la Constitution réserve en effet à l’État, et plus précisément au législateur, la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. Si, en vertu des articles 72 et 72-2 de la Constitution, les collectivités territoriales «s’administrent librement par des conseils élus» et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement », chacune d’elles le fait en effet seulement « dans les conditions prévues par la loi ».
Or, si la loi ne prévoit pas, en tout cas aujourd’hui, la possibilité pour les régions de taxer l’utilisation des routes, c’est tout d’abord parce que le réseau routier non concédé dépend, soit du domaine de l’État (autoroutes non concédées, réseau national), de celui des départements (le reste, hors agglomération), ou encore des communes, mais nullement des régions.
On comprend donc mal comment une collectivité pourrait percevoir des taxes ou des péages pour l’utilisation d’une infrastructure dont elle n’est pas gestionnaire, et il paraît peu probable que les régions se voient confier à court, voire même moyen terme, la responsabilité d’une partie du réseau routier français alors même que le périmètre de responsabilité des régions vient d’être modifié sans toucher à cet aspect. En effet, même si le projet de loi NOTRe avait envisagé initialement un transfert des routes du département à la région, la loi telle qu’elle a été votée a renoncé à cette idée.
Par ailleurs, ce domaine des péages et droit d’usage est régi par le droit communautaire, notamment par la directive 1999/62/CE relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures, modifiée par la directive 2011/76/UE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2011.
Plusieurs éléments de cette directive sont défavorables à l’établissement de péages régionaux ou de taxes régionales pour le droit d’usage des routes ou portions de routes traversant le territoire de ces collectivités :
- Si l’article 7 de la directive permet aux États membres de maintenir ou introduire des péages et/ou des droits d’usage sur le réseau routier transeuropéen, il n’envisage pas l’application de cette disposition par les collectivités décentralisées du territoire de cet État, même si celui-ci peut envisager des péages et/ou droits d’usage seulement sur certains tronçons dudit réseau. Ainsi, il semble que, si la directive permet à un État d’instaurer un péage sur un tronçon de réseau situé sur une portion de son territoire correspondant à une collectivité locale, elle n’envisage pas l’instauration de ce même péage par la collectivité elle-même ;
- S’agissant des routes ne faisant pas partie du réseau routier transeuropéen, le même article 7 ne permet aux États d’instituer ou de maintenir des péages et/ou des droits d’usage que sur leur réseau autoroutier, et donc pas sur les routes et voies rapides. L’idée émise par des responsables de la région Île-de-France d’instaurer un péage ou droit d’usage régional pour circuler sur le boulevard périphérique parisien paraît dès lors difficilement justifiable. La question serait différente si elle était envisagée sous l’angle d’un droit d’accès municipal au réseau urbain de la ville de Paris du type de la congestion charge londonienne. Mais, même dans ce cas, la collecte des péages devra être organisée de façon à préserver la fluidité de circulation, comme l’exige la directive de 2011 (article 7 undecies), ce qui exclurait a priori l’installation de barrières de péage, et exigerait l’installation de portiques du type Ecotaxe sur le périphérique parisien ;
- Les péages et droits d’usage doivent être appliqués sans discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité du transporteur, de l’État membre ou du pays tiers d’établissement du transporteur ou d’immatriculation du véhicule, ou de l’origine ou de la destination du transport. Les propositions exprimées en faveur d’un péage ou droit d’usage limité aux « véhicules en transit » sont donc contraires à la directive, et par là même inenvisageables.
Il n’en demeure pas moins que la solution de certains problèmes, tels l’accroissement considérable du trafic sur l’autoroute A35 (E25 et E60 du réseau transeuropéen) depuis l’entrée en vigueur de la LKW Maut sur le réseau voisin allemand, peut passer par l’imposition d’un péage ou d’un droit d’usage spécifique. Une telle mesure serait juridiquement fondée, puisque la directive de 2011 « ne fait pas obstacle à l’application non discriminatoire par les États membres de droits régulateurs destinés spécifiquement à réduire la congestion du trafic ».
Ainsi l’État – mais probablement pas la région – pourrait décider de recourir à l’application de cette disposition pour fluidifier la circulation sur cet axe essentiel de l’Alsace.