par Franck Boulin et Constance Amedegnato, ACE, section internationale (Afrique)
L’Afrique connaît depuis plusieurs années une croissance économique soutenue. Celle-ci est caractérisée cependant par une grande disparité entre les États, ainsi que par un faible niveau d’échanges économiques intracontinental, qui se limite aujourd’hui à environ 13% de l’ensemble. À titre de comparaison, au sein de l’Union européenne, le commerce intracommunautaire représente 64% en moyenne pour les 27 États membres.
L’économie des pays d’Afrique souffre également de la plus faible contribution à la valeur ajoutée manufacturière mondiale (environ 1,6%), tandis que les matières premières représentent entre 70% et 90% des exportations de marchandises en Afrique, d’où la persistance d’une forte volatilité des économies.
C’est dans ce contexte que l’adoption en mars 2018 par les chefs d’États et de gouvernements de l’Union africaine de l’Accord fondant la Zone de libre échange continentale africaine (ZLECAf) constitue un évènement majeur pour le continent, mais également plus largement pour un rééquilibrage des échanges Nord-Sud qui devrait bénéficier plus globalement à la relance de la croissance mondiale.
Conformément aux dispositions de l’Accord, celui-ci est entré en vigueur le 30 mai 2019 après la ratification du 22ème État membre. À ce jour, trente pays ont ratifié l’Accord et des 55 États du continent, il ne reste que l’Érythrée qui ne l’ait pas encore signé. Tandis que la première phase des négociations des protocoles couvre les échanges des biens et services, la phase 2 portera sur les domaines de l’investissement, de la propriété intellectuelle et de la concurrence.
Favoriser les échanges intra-africains pour moderniser et diversifier les économies
Le champ d’application de la ZLECAf est vaste. L’accord doit réduire les droits de douane entre les pays membres et traitera d’aspects de politique générale liés notamment à la facilitation des échanges et aux services, tout en englobant des dispositions réglementaires telles que les normes sanitaires, la simplification et l’accélération des procédures douanières et des mesures visant plus généralement à éradiquer les obstacles non-tarifaires au commerce. Pleinement mise en œuvre, la ZLECAf devrait permettre de diversifier les économies, promouvoir en Afrique la production manufacturière à forte valeur ajoutée, réorganiser les marchés de la région et stimuler la production dans les secteurs des services.
Concrètement les droits de douane devront être supprimés sur 90% des produits dans un délai de cinq à dix ans. Il est généralement considéré que la suppression des barrières tarifaires comme non tarifaires, associée à l’application intégrale de l’Accord de facilitation des échanges conclu dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce, pourrait à moyen terme augmenter de plus de 50% les échanges intra-africains.
Assurer une transition efficace
Même si les perspectives économiques de la ZLECAf sont très prometteuses pour le développement économique de tous les États africains à échéance de cinq ans, la compensation de l’impact de la baisse des droits de douane peut s’avérer une nécessité pour permettre de traverser la phase initiale de mise en place de l’Accord. Cet obstacle ne devrait cependant pas être insurmontable, puisque l’impact des pertes fiscales liées à la réduction massive des droits de douane sur les échanges intra-africains ne représentera en moyenne que 0,2% du PIB du continent, précisément du fait de la part encore relativement modeste de ces échanges.
Dans certains pays cependant, notamment les moins avancés, le défi reste important. La réduction des tarifs douaniers et par là des recettes budgétaires doit donc être compensée dans le court terme, afin d’assurer le succès de la transition vers une économie plus développée et plus ouverte. De même la diversification de l’économie va nécessairement accroître la dépense publique notamment dans les domaines des infrastructures et de l’éducation. Un soutien budgétaire temporaire devra ainsi permettre à ces États d’adapter leurs services publics et leurs administrations aux changements nécessaires.
Soutenir les ajustements structurels dans le long terme
Pour l’ensemble de ces raisons, le 33ème sommet de l’Union africaine, qui s’était tenu à Addis Abbeba, Éthiopie en février 2020 a décidé de mettre en place, avec le soutien logistique et managérial d’AfreximBank, la banque d’import-export africaine basée au Caire, Égypte une facilité d’ajustement structurel (FAS) associée à la ZELCAf.
Au-delà de l’aide aux pays les moins avancés sous la forme d’une assistance budgétaire temporaire afin qu’ils réussissent leur transition vers le libre échange continental, il a été prévu que la FAS devra à plus long terme faciliter le financement d’infrastructures publiques liées au développement des échanges. De plus, au travers d’une branche dédiée, la facilité permettra de financer le secteur privé pour lui donner les moyens d’investir.
Souhaitant avancer rapidement dans ce domaine, les chefs d’États et de gouvernements de ’Union africaine ont souhaité pouvoir disposer dès leur sommet de février 2021d’un plan de mobilisation de ressources et d’orientations pour le fonctionnement de cette FAS (Resource Mobilisation Plan and Initiative for the AfCFTA Adjustment Facility). C’est pourquoi Afreximbank, qui a déjà provisionné 1 milliard de dollars pour doter le FAS, a décidé de réunir une équipe internationale d’économistes (américains, ghanéens, zambiens, sud-africains et britanniques) pour définir ce plan.
Un fonds d’ajustement intégré dans l’Union africaine
L’équipe internationale a également été chargée de présenter un projet de statuts de l’organisation aux fins de son adoption lors du sommet de février 2021. À cette fin, elle s’est associé les services d’un avocat français, les statuts devant être rédigés en deux versions officielles égales (anglais et français).
La ZELCAf-FAS s’insère dans un ensemble d’organismes de financement intervenant déjà en Afrique. Celui-ci comprend, outre les banques d’investissement régionales (Banque Africaine de Développement, Afrexim etc.) et les donateurs (notamment l’Union européenne), d’autres facilités d’ajustement structurel, par exemple celles liées au Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), ou à la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).
S’il est prévu que la facilité reçoive des financements publics des États membres aux fins de mutualiser les pertes de recettes douanières dans les États les moins avancés, il paraît exclu qu’il soit doté de nouveaux droits de douane sur les échanges hors marché intra-africain. L’équipe internationale exclut en effet cette hypothèse, pour trois raisons principales. La première est son caractère contre- productif : l’ouverture vers le libre-échange et l’économie mondialisée s’accorde mal de droits de douane majorés. La deuxième est liée aux engagements des États africains pris dans le cadre de l’OMC, ou d’accords régionaux, par exemple entre les États d’Afrique australe et l’Union européenne au sein de l’Accord de partenariat économique conclu en 2016.
La facilité ne devrait pas plus recourir à l’emprunt direct pour accorder à son tour des crédits, le spread de crédit auquel elle devrait emprunter risquant de ne pas rendre la structure compétitive au regard des prêteurs existants. En revanche, il est prévu que la FAS apporte sa garantie aux
emprunteurs finançant des projets publics et privés en Afrique, les fonds dont elle sera dotée assurant un effet de levier important. Enfin, la FAS pourra également être destinataire de contributions de donateurs (Union européenne, États-Unis par exemple).
Une structure autonome
Ces objectifs sont reflétés dans le projet de statuts, d’ores et déjà approuvé dans ses principes et actuellement en cours de finalisation. Inspiré des structures régionales existantes et des règles de fonctionnement du Mécanisme Européen de Stabilité, la nouvelle structure sera établie dans le cadre institutionnel de l’Union africaine, mais bénéficiera d’une large autonomie de décision et de fonctionnement. Elle sera créée sous la forme d’un protocole additionnel à la ZLECAf, adopté par les chefs d’États et de gouvernements de l’UA et soumis à la ratification des États africains.
La FAS sera dotée d’un fonds unique, divisé en deux parties, le fonds de base et le fonds général. Le fonds de base sera composé des contributions des États africains, tandis que le fonds général recevra les dotations fournies par les institutions internationales et les États tiers. Afin de garantir la maîtrise de la FAS par ses États membres et l’Union africaine, les tiers devront être approuvés préalablement par les États membres. Un système de majorités différentes selon l’importance des questions à trancher permettra de favoriser là où c’est possible la recherche de consensus, tout en évitant les blocages et en garantissant à chacun, États membres comme contributeurs extérieurs, la préservation de ses intérêts.
Devant concilier les logiques bancaires, celles des secteurs public et privé, et à la jonction de l’économie et de la gestion budgétaire, la facilité sera placée sous la supervision – mais non le contrôle – d’un comité ministériel associant les ministres de l’industrie et du commerce, les ministres des finances et du budget, ainsi que les gouverneurs des banques centrales et des représentants des donateurs extérieurs. Un comité technique, composé de hauts fonctionnaires de ces départements et agences, assistera le comité ministériel pour les tâches que celui-ci lui déléguera. Enfin, un comité de gestion (Management Board) assurera la gestion effective de la facilité et préparera les décisions qui relèveront des comités ministériel et technique.
La transparence dans son fonctionnement sera assurée sur un plan technique par un système traditionnel d’audits interne et externe. En outre il est prévu que le Parlement Panafricain, l’instance législative de l’Union africaine, sera associé à ce contrôle.
Le libre-échange, instrument du développement et de la sortie de l’extrême pauvreté
Un rapport de la Banque mondiale, intitulé en anglais AfCFTA Economic and Distributional Effects, estime que la Zone de libre-échange continentale africaine pourrait permettre aux pays africains de faire sortir de l’extrême pauvreté 30 millions d’habitants et d’accroître le revenu de 68 millions d’autres personnes qui vivent avec moins de USD 5,50 par jour, et de rendre les pays africains plus compétitifs, essentiellement dans le secteur manufacturier.
Néanmoins, comme l’a souligné Albert Zeufack, économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Afrique, « la réussite de sa mise en œuvre sera primordiale et il conviendra notamment de suivre attentivement ses effets sur tous les travailleurs — femmes et hommes, qualifiés et non qualifiés — dans tous les pays et secteurs afin de garantir que l’accord porte pleinement ses fruits. »
Une nécessaire implication des États et du secteur privé
La création d’un marché à l’échelle du continent exigera une action volontariste pour réduire tous les coûts commerciaux. Il faudra pour cela adopter des lois et réglementations permettant aux marchandises, aux capitaux et aux informations de traverser librement les frontières, de créer un environnement commercial compétitif à même de stimuler la productivité et l’investissement, et de promouvoir la compétitivité vis-à-vis de l’extérieur ainsi que les investissements directs étrangers pour favoriser la productivité et l’innovation des entreprises nationales.
Les gouvernements devront être prêts à soutenir les travailleurs en mettant en place des filets de sécurité et des dispositifs de reconversion adaptés, tandis que les pouvoirs publics, comme les acteurs du secteur privé, devront concevoir ensemble des politiques visant à mieux préparer leur main- d’œuvre à tirer parti des nouvelles opportunités. À moyen terme, la diversification des économies africaine et le renforcement de leurs secteurs manufacturiers dans des branches à forte valeur ajoutée devrait ainsi contribuer à la création d’emplois durables, plus valorisants et mieux rémunérés, renforçant la croissance et le développement des sociétés.
La ZLECAf instrument de commerce avec le reste du monde
Alors que l’économie mondiale est en proie aux bouleversements provoqués par la pandémie de COVID-19, la création de ce vaste marché régional constitue une occasion à saisir par les pays africains pour diversifier leurs exportations, accélérer leur croissance et attirer les investissements directs étrangers.
Actuellement, les marchés africains n’ont pas individuellement la taille nécessaire pour attirer les investissements d’envergure et l’Afrique capte dix fois moins d’investissements directs étrangers que l’ Asie.
La ZLECAf va créer un marché régional voire continental et ce nouveau « marché unique » pourrait encourager la venue des opérateurs étrangers.
Les secteurs d’investissement seront diversifiés : les infrastructures (de grands projets sont prévus pour faciliter la « connectivité » et les échanges intra-africains), le numérique, la manufacture, les hydrocarbures, les mines, le textile, la finance, les services, etc…
La ZLECAf sera un facteur de croissance pour l’Europe, en lui élargissant ses débouchés vers le continent voisin. Un accord de libre-échange intercontinental global entre l’UE et l’Afrique est annoncé mais son élaboration semble poser quelques difficultés.
La chine a déjà annoncé qu’elle travaillera avec l’Afrique pour promouvoir le régime de libre-échange via, notamment, le projet « Une ceinture, une route ».
POUR L’AVOCAT CONSEIL D’ENTREPRISE
L’accroissement des investissements et des échanges avec l’Afrique ouvre également une opportunité d’affaires pour les avocats conseils d’entreprise et leur permet de renforcer leurs portefeuilles de clientèle internationale, sur un continent dont, dans plus de 20 États, le français est une langue officielle.
L’inde qui fait également parti des principaux partenaires de l’Afrique entend utiliser le nouveau
« marché unique » pour assoir sa croissance à l’échelle régionale.